Marc-André Leclerc : portrait d’une légende de l’escalade (2024)

Publié le : 26/10/2022

Avec la sortie en 2021 du film L’Alpiniste, Marc-André Leclerc est devenu une figure connue dans le monde de l’escalade, mais les choses auraient pu être différentes. Reclus par nature, peu intéressé par la célébrité et fuyant les caméras, Marc-André était heureux de grimper dans une relative obscurité à un niveau incroyablement élevé. Et cela aurait pu en rester ainsi.

Même lorsque les gens ont commencé à le remarquer vers 2015, Marc-André a continué à se dédier à l’escalade pour l’amour de celle-ci. Son héritage éternel pourrait avoir autant à voir avec cette attitude qu’avec ses exploits. La poursuite de l’aventure était sa priorité. Il n’était pas motivé par la richesse, la gloire ou se retrouver en couverture des magazines d’escalade, malgré son talent prodigieux. Nous avons voulu nous pencher sur la vie de Marc-André Leclerc, un véritable dirtbag (dans le meilleur sens du terme) et l’incarnation même de l’alpinisme.

L’enfance

Marc-André Leclerc nait le 10 octobre 1992, à Fraser Valley, Nanaimo, BC, Canada, fils de Michelle Kuipers et Serge Leclerc. Il est diagnostiqué comme souffrant de TDAH et rencontre des difficultés à l’école dans ses premières années. C’est pourquoi sa mère lui fait l’école à la maison pendant la majeure partie de son éducation élémentaire. Elle met souvent fin à ces leçons formelles plus tôt que prévu, emmenant son fils à la montagne ou en forêt pour identifier les roches et les plantes. Ces expériences marquent le garçon de façon durable.

Son histoire d’amour avec l’escalade commence lorsque son grand-père lui offre le livre de Chris Bonnington, Quest for Adventure. Les images de petits humains escaladant les vastes parois de neige et de glace ont un impact profond sur lui, alimentant son imagination. Sa première expérience d’escalade a lieu sur un mur dans un centre commercial à l’âge de neuf ans. Puis, plus tard dans l’année, il s’inscrit dans le gymnase Project Climbing à Abbotsford, en Colombie-Britannique, et commence à grimper régulièrement.

En 2005, la famille de Marc-André Leclerc déménage à Agassiz, près des Cascade Mountains. Là, Marc-André s’initie à l’escalade en se rendant à vélo jusqu’aux Harrison Bluffs et en y passant la nuit. Il débute seul, en baskets, et avec peu d’entraînement formel. Par la suite, avec un ami, il apprend à manier les pitons et les systèmes de corde dans de vieux livres.

Puis, à l’âge de 15 ans, sa mère lui achète un exemplaire de Mountaineering : The Freedom of the Hills, ce qui l’incite à rejoindre la British Columbia Mountaineering Society. Rapidement, Marc-André commence à participer à des compétitions et à dominer dans sa catégorie d’âge. Après avoir obtenu son diplôme d’études secondaires, il déménage à Squamish, en Colombie-Britannique, la Mecque canadienne de l’escalade.

Là, il trouve un foyer parmi les marginaux de la communauté des grimpeurs. Pendant plusieurs années, le style de vie du dirtbag, les voies difficiles et faire la fête le tiennent occupé. Il vit un moment dans une cage d’escalier, qui devient mieux aménagée une fois qu’il rencontre sa petite amie, Brette Harrington – elle-même une adepte accomplie de l’escalade libre. Ensemble ils créent un lien qui aide Leclerc à retomber amoureux de l’escalade. Leurs nombreuses ascensions ensemble sont documentées dans le film. C’est à la fois déchirant et magnifique.

Style et spécialité d’escalade

Tout comme Alex Honnold, Marc-André Leclerc restera probablement dans les mémoires (en dehors de la communauté des grimpeurs) pour ses escalades libres en solo et ses premières ascensions en solo. Mais en le regardant grimper en toutes saisons et dans des conditions terrifiantes, il est clair que son approche et son arsenal de compétences sont différents. Marc-André s’investit dans le moment présent et ne pense qu’à l’aventure. Ce dernier aspect l’a rendu prêt et disposé à passer d’un milieu à l’autre. Roche, glace, neige – Leclerc pouvait tout grimper en une seule ascension et par n’importe quel temps. Sa spécialité était l’alpinisme. Toutes les compétences nécessaires pour trouver une nouvelle voie dans une paroi terrifiante de roche et de glace faisaient de lui un alpiniste presque inégalé.

Regarder n’importe quel autre grimpeur exécuter une ascension libre en solo me rend anxieux – j’ai hâte que cela se termine. Regarder Leclerc est différent – il a l’air de s’amuser. Il passe librement de l’escalade à mains nues aux piolets, même dans les situations les plus difficiles. Ses mouvements semblent sans effort et (presque) sans conséquences. Son escalade est une expression du bonheur. Et si l’escalade est un art, ce jeune homme était sans aucun doute un grand maître.

Quand on regarde Marc-André grimper ou qu’on l’écoute parler de la montagne, son attitude pure et joyeuse transparaît. Alors que l’escalade se développe et que de plus en plus de jeunes la vivent comme un sport de compétition en salle de sport, Leclerc propose une vision différente. Pour reprendre les mots d’Alex Honnold :

« L’escalade en solo [de Leclerc] n’était pas une activité athlétique, ce n’était pas du sport. Il s’agissait d’un engagement spirituel dans l’aventure. »

Mais en dehors de cette qualité moins tangible, les exploits remarquables ont été nombreux dans la brève et géniale carrière d’aventurier / explorateur de Marc-André Leclerc (d’après ce que nous avons vu, nous pensons qu’il préférait ces titres à celui de « grimpeur »). Dans un sport de plus en plus fragmenté et spécialisé, on se souviendra de Leclerc pour avoir fusionné tous les styles au plus haut niveau et dans les situations les plus risquées – souvent avec un grand sourire.

Exploits notables

Il y a un problème à faire une section “ascensions notables” avec un gars comme Leclerc. Il a évité les feux de la rampe, donc nous ne connaissons pas beaucoup de ses exploits. Seuls ceux dont il a choisi de parler, dont d’autres ont été témoins ou qui ont été repris par un magazine d’escalade peuvent être nommés. Honnêtement, nous pensons que c’est approprié. Peut-être a-t-il accompli toutes sortes de voies dont personne n’a jamais entendu parler.

2013 – Record de vitesse de l’ascension en solitaire du Grand Wall

Avec un temps de 57:30, Leclerc a battu de justesse le précédent temps de 59 minutes d’Alex Honnold et Mason Earle. Honnold a été suffisamment impressionné pour revenir l’année suivante et faire tomber le record dans l’oubli – ” (Leclerc) avait battu un record de vitesse que j’avais établi… alors j’avais prévu de reprendre les choses. “

Honnold a certainement fait cela, avec un temps de 38 minutes – un record susceptible de durer un certain temps. Battre Honnold a peut-être contribué à attirer l’attention sur Leclerc.

2013 – Première ascension libre, The Temptation of St Anthony, Paroi Nord, The Chief, Squamish, Alaska – 5.13R/X

Connu pour ses énormes passages engagés et son potentiel de chute terrifiant, Leclerc qualifie cette voie de “l’une des plus belles lignes de Squamish, à mon avis totalement partial”. Au sujet de cette escalade de six longueurs, Leclerc écrit : “La quatrième longueur est en compétition pour l’un des ascensions en tête les plus audacieuses de The Chief.“ À cette époque, l’intérêt des magazines d’escalade pour Marc-André Leclerc commence à croître.

2014 – Premier enchaînement libre en solitaire, Pilier Est Direct 5.10+, Paroi du Navigateur 5.10+, et Contrefort Nord-Est 5.9+, BC

Bien qu’il ait déjà effectué un solo intégral sur le contrefort nord-est, Leclerc voulait le terminer, ainsi que deux autres voies, en une seule journée. En août 2014, c’est ce qu’il a fait. Seul et sans corde, il a terminé les trois voies en moins de 12 heures – un exploit d’endurance mentale et physique incroyable.

2015 – Première ascension, Directa de la Mentira 5.10, face nord du Cerro Torre, et première traversée reverse de la Torres, Patagonie

Lors de son premier voyage en Patagonie, André Leclerc a montré sa volonté de tenter des voies non escaladées. Avec son partenaire d’escalade Colin Haley, il a utilisé des cordes pour réaliser ces records de première ascension sur trois voies de la face nord du Cerro Torre en mars 2015.

2015 – Première ascension en solitaire, Le Tire-bouchon 5.10d, Cerro Tore, Patagonie

L’alpiniste et guide de montagne argentin Rolando Garobotti a déclaré que l’enchaînement Leclerc du Tire-bouchon était d’une “ampleur inégalée, de loin la voie la plus difficile jamais réalisée en solo sur le Cerro Torre et seulement la septième en solo au total”. Il s’agissait principalement d’une escalade en solo intégral, réalisée avec une corde courte et souvent sans protection.

Brette Harrington faisait partie de ce voyage et a conquis la voie Chiaro di Luna en solo, ce qui lui a valu la toute première ascension féminine en solo en Patagonie.

2015 – Ascension libre, Paroi Muir, El Capitan, Yosemite

Avec ses partenaires Brette Harrington et Alan Carne, Marc-André s’est attaqué à cette magnifique voie de 33 longueurs sans moulinette. C’est une escalade longue (4 jours), exigeante, avec beaucoup de sections techniques – une telle ascension libre est rare.

2016 – Établissement de la voie du Hidden Dragon sur la paroi du Chinese Puzzle avec Brette Harrington, Cascade Mountains

La paroi du Chinese Puzzle en face du mont Slesse, dans les Cascades Mountains, doit son nom à sa série complexe de fissures et de toits. En 2016, Marc-André Leclerc et Brette Harrington ont passé huit jours à établir leur nouvelle voie, Hidden Dragon 5.12b, avant d’en faire la première ascension.

2016 – Établissement de deux nouvelles voies d’ascension du pic Great Sail avec Brette Harrington sur l’île de Baffin.

Ce voyage consistait à se déplacer en motoneige sur la glace brisée d’une baie gelée jusqu’aux fjords orientaux de l’île de Baffin. L’itinéraire est impressionnant, mais le cadre et le lieu le sont tout autant. La terrifiante ascension se fait à travers un mélange égal de roche et glace. Regardez le vlog d’André et de Brette sur le lien ci-dessous pour découvrir des images effrayantes d’escalade sur glace.

2016 – Première ascension en solitaire de la voie Infinite Patience sur la face Emperor du Mont Robson

À propos de ce parcours, Leclerc a écrit : “(J’étais) intimidé par la forte aura (de l’Emperor), mais à la fin, nous sommes devenus amis, et le Roi a généreusement partagé sa richesse, me laissant une personne beaucoup plus riche en effet.”Dans le même article de blog, il a également écrit à propos du visage de l’empereur – “plus l’expérience est grande et profonde, plus elle est difficile à décrire.” C’est quelque chose que nous pouvons tous comprendre – même les non-alpinistes.

2016 – Première ascension hivernale en solitaire, Pilier Est, Torre Egger, Patagonie

C’est une face dangereuse dans les meilleures conditions, surtout en hiver. Une seule tentative hivernale avait été réussie auparavant, et jamais une ascension hivernale en solitaire. Il s’agit de l’une des ascensions les plus audacieuses de Leclerc. Ce dernier passe du rocher à la glace sans le soutien d’autres grimpeurs. Sa première ascension hivernale en solitaire de la Torre Egger est un témoignage de la résistance et des capacités de Marc-André Leclerc.

2017 – Premier solo libre, Tall Storey 5.11c, Echo Canyon, Alberta

En 5.11c, Tall Storey n’est pas une voie sportive facile. Elle fait plus de 180 m, sept longueurs, et beaucoup de choses peuvent mal tourner en chemin. Cela en fait l’un des solos libres les plus cotés et les plus difficiles de la carrière de Marc-André.

2018 – Première ascension, face nord de la tower principale de Mendenhall Towers, Alaska

Ryan Johnson avait planifié cet itinéraire de 760 m sur la tower principale des Mendenhall Towers depuis plusieurs années avant de trouver un partenaire volontaire et compétent en mars 2018. L’ensemble de l’itinéraire est difficile, les derniers 750 m étant un mélange imprévisible de glace, de neige et de roche. Leclerc et Ryan Johnson ont vaincu la dernière partie de la voie et ont été surpris de constater que leur téléphone portable captait. Ils ont filmé plusieurs vidéos et en ont posté quelques-unes en ligne avant d’entamer leur descente. Leclert et Johnson devaient être de retour au camp de base le 7 mars, mais ils ne sont jamais revenus.

L’alpiniste

Les réalisateurs Peter Mortimer et Nick Rosen n’étaient pas des étrangers au documentaire sur l’escalade lorsqu’ils ont commencé à travailler sur L’alpiniste. Tous deux avaient déjà travaillé sur des classiques comme Valley Uprising, First Ascent, The Dawn Wall et la série Reel Rock. Mais aussi branchés sur le monde de l’escalade que soient ces deux grimpeurs-réalisateurs, aucun ne connaissait vraiment Marc-André Leclerc. Ils n’avaient que des récits de seconde main d’autres grimpeurs d’élite. Et ces récits faisaient état d’un talent prodigieux.

L’escalade en solo intégral a connu un regain d’intérêt après la sortie du documentaire Free Solo. Mortimer et Rosen se sont rendu compte qu’un grimpeur inconnu réalisant des performances d’élite pour le fun ferait une histoire passionnante. Les deux cinéastes ont estimé que l’escalade mystérieuse de Marc-André Leclerc méritait d’être mise en lumière.

L’Alpiniste est un portrait fascinant. Ses ascensions sont des plus éprouvantes pour les nerfs, mais la relation de Marc-André Leclerc avec le sport escalade est la véritable vedette. Nous ne sommes même pas sûrs que sport soit le mot correct dans ce contexte. De temps en temps, on voit un athlète se mouvoir avec cette sorte de grâce animale que la plupart des humains sont trop conscients d’eux-mêmes pour atteindre. Ceci, et la personnalité qui se cache derrière, sont les meilleurs aspects de L’alpiniste. On y trouve l’escalade sur roche et sur glace de Leclerc et Harrington et des commentaires de Honnold, Scott Serfas, Reinhold Messner et Barry Blanchard – entre autres. Documentaire recommandé !

Décès

Marc-André Leclerc et son partenaire d’escalade Ryan Johnson sont morts entre le 5 et le 7 mars 2018. Après avoir terminé une nouvelle voie sur la face nord des tours Mendenhall à Juneau, en Alaska, les deux grimpeurs ont entamé leur descente. Ce qui leur est arrivé ensuite relève de la spéculation.

Lorsque la petite amie de Marc-André n’a pas eu de nouvelles de lui à l’heure prévue, elle donne l’alerte. Elle avait dit au revoir à Marc-André quelques jours plus tôt après que le couple ait fait la première ascension d’un sommet Station D en Colombie-Britannique. Brette s’était ensuite envolée pour la Tasmanie afin d’y retrouver des amis et de profiter d’un temps plus chaud.

De retour à Juneau, les secours en montagne ont commencé les recherches mais ont dû les interrompre en raison du mauvais temps. Une fois la tempête passée, au bout de quatre jours, une équipe d’hélicoptère a repéré une corde d’escalade orange au bas de l’itinéraire de descente prévu des grimpeurs.

Un membre de l’équipage de l’hélicoptère a utilisé un détecteur Recco, un appareil de recherche et de sauvetage qui émet un signal radar directionnel. Ce signal rebondit sur le métal et les étiquettes spéciales intégrées aux vêtements et équipements de survie. Avec cet appareil, ils ont repéré le signal d’une pièce d’équipement d’escalade ou de métal à environ quinze pieds sous la neige. Il correspondait à l’endroit où les deux alpinistes se seraient trouvés s’ils avaient été pris dans une avalanche.

Nous ne saurons jamais si un rocher est tombé, si une corniche s’est détachée ou si une chute de glace a provoqué une avalanche. On suppose qu’une avalanche les a rattrapés pendant leur descente, ensevelissant les deux hommes. Leurs corps n’étaient pas récupérables sans risquer une autre avalanche et la vie des sauveteurs. Cela pourrait s’avérer possible à l’avenir en cas de dégel significatif.

Marc-André Leclerc restera dans l’histoire comme un alpiniste pionnier, un aventurier, un maître du rocher et de la glace. Et aussi une sorte d’énigme. Une grande partie de son œuvre a été réalisée seul et sans caméra. Il ne m’appartient pas de dire ce que Marc-André Leclerc deviendra en termes d’héritage. Il a grimpé au plus haut niveau, dans toutes les disciplines, et pour les plus grands enjeux. Mais il ne l’a pas fait pour les médailles, la une des magazines, l’argent, la gloire ou l’attention. Il grimpait parce qu’il aimait ça.

J’allais terminer par une citation sombre de Leclerc lui-même, mais j’ai décidé de ne pas le faire. A la place, voici une citation tirée de son blog, après avoir parcouru l’arête est, la paroi du Navigator et le contrefort nord-est du mont Slesse en un peu plus de 12 heures :

“Je me sens comme un chat, je me sens comme un ninja ! Je me sens comme un chat ninja ! Un chat ninja ALPIN !”

C’est une sensation géniale, mon pote. RIP.